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Un extrait du livre [La Marée de Jade] - de Xavier Watremez

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AU MILIEU de la foule bruissante, pressée, personne ne faisait attention à lui et à cause de son style vestimentaire sobre, il n'éveillait aucune curiosité. De fait, c'était d'abord pour cette particularité qu'on l'avait engagé : savoir rester invisible était l'un de ses talents.

Pour tout bagage, il transportait une valise trolley et un sac de sport en cuir noisette où était tout au fond fourrée la cargaison, dissimulée dans une petite boîte avec du gaffeur aux angles. De son apparence globale émanait toutefois un je-ne-sais-quoi de trouble, de dangereux, sans qu'on puisse réellement le définir.

Arrivé à la gare Montparnasse pour une fois plutôt pas bondée (un peu normal pour une mi-juillet !) et après avoir pris un café servi au comptoir du Quick par une employée servilement non-aimable, il se dirigea vers le versant opposé situé côté rue Pasteur.

Les billets de train reposaient dans la poche revolver de sa veste, et, quant à la planque qu'on lui avait réservée à Biarritz sous un nom d'emprunt, il n'y avait pas de soucis à se faire de ce côté là. Personne ne pourrait l'identifier là ou ailleurs.

 

Son nom ? Peu importe quand on est pas un « fils de » et qu'on est pas plein de pognon, qu'on s'appelle Ahmed, Guillaume, ou Jean-Eudes. Tout le monde s'en fout, comment vous vous appelez ou non ! Si vous n'avez pas la carte, vous n'entrerez nul part à moins de braquer voire, bien sûr, à moins d'emprunter une longue voie déserte.

Et encore, si elle n'est pas encombrée à son terme comme souvent les escaliers de ce terminus malgré qu'on soit en période maigre. En l'occurrence, il nota que rien n'avait changé dans le béton armé de ce bâtiment malgré tout récemment réaménagé. Si l'on voulait s'apaiser loin de la horde on devait d'abord longer un quai sinistre, puis, à l'autre extrémité, emprunter l'escalator qui nous amenait dans un second hall d'où était absente toute cohue. Une sorte d'Olympe en soi, donc.

Les gens qui prenaient le train à cette époque de l'année étaient assez peu nombreux vu que la plupart partent dès le début du mois en allant retrouver leurs collègues au même lieu de villégiature. Comme par exemple à Ibiza ; la destination préférée de tant des touristes parisiens. Ibiza est le Paris de juillet-août, comme chacun sait.

Quant à lui, il ne saisissait pas comment le touriste de base peut aimer partir en séjour dans ce genre de région où tout le monde se rend, il estimait que tout ce qui est un peu branchouille est tout à fait nocif sinon à éviter. Et de toute façon, il favorisait surtout les destinations lointaines pour sa part. Il en était quasi sûr, on est toujours plus heureux là où la nature est sauvage même si c'est plus dangereux. Surtout si on n'apprécie ni la dance pourrave, ni les concours de T-Shirts mouillés, ni les boîtes à parvenus énamourés à tarif prohibitif - avant de songer à ce romantisme nietzschéen de l'homme seul devant l’œuvre divine...

Bref, avoir en main un whisky-coca sous un parasol et des amis en kit ne constituait pas pour lui un aboutissement en général. Que cela soit dit une fois pour toutes, les lieux vraiment intéressants sont le plus souvent vides de toute péquin, quel qu'en soit l'adresse sur le globe terrestre ! On peut affirmer avec certitude que le faste, le calme et la volupté ne sont désormais à présent que des notions illusoires, qu'il s'agisse du »gratin » ou de simples prolétaires ayant une somme d'argent importante à dépenser. Actuellement bien des endroits sont pollués, il n'y a plus que la nature vraiment sauvage qui reste à offrir de beaux lieux pour que s’épanouisse la végétation luxuriante.

Mais il approchait justement du haut de l'escalator, et il posa enfin le pied sur le sol de ce titanesque hall impersonnel ; entièrement construit en béton et en verre. Sur la façade était seulement inscrit en grandes lettres hostiles et bleuâtres : « MONTPARNASSE 2 », comme pour vous avertir quelque part que vous n'arriverez jamais qu'à cette destination terminale ; comme pour vous signifier que l’appellation humaine n'était de toute façon qu'une matière infiniment duplicable...

 

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Et, comme à chaque fois qu'ils se rendait dans cette section de la gare, il observait précisément ce qui avait l'air neuf, et comme à chaque fois, rien d'insolite n'était à signaler sur ces quais excepté pour ce milieu de juillet une propreté étonnante. On aurait presque pu manger par terre tellement les trottoirs en bitume étaient dénués ni de papier gras et du moindre mégot ! Chose qui est très inhabituelle, quand on connaît les rues de Paris.

Par contre, toujours présent et dominant les quais de sa forme en éventail, le salon de lecture aux larges vitres donnant sur les rames était toujours garni de ses sièges couleur bordeaux au tissu plus ou moins élimé et il y régnait comme d'habitude un calme parfait avec dedans, au grand maximum, un pelé et trois tondus. Ce qui n'est pas si négligeable quand on y pense non plus, la littérature étant devenue si peu populaire.

Quoique avant de s'y asseoir, il décida de pousser plus avant vers le « Relais H » juste à côté. Ici-bas, à part les torchons tabloïds consacrés aux rehabs divers des starlettes de la télé réalité, on trouvait de ces bandes dessinées se voulant « humoristiques » qui racontent des blagues poilantes sur les blondes avec aussi ces publications que l'on voit apparaître à l'été et qui conseillent aux couples qui rencontrer, qui voir, et surtout comment s'amuser voire comment s'encanailler.

Sans oublier au fond Spiderman et ses intrigues joyeusement délirantes.

Parfois il parcourait cette presse pour tuer le temps, du moment que le sbire du magasin ne soit pas trop véloce, et il consulta donc les titres rangés sur l'étalage malgré qu'ils aient un peu tous les mêmes couvertures.

Concernant ces périodiques pour branchés qui fleurissent aux beaux jours, il put constater que rien n'avait changé : peu ou prou, on y découvrait parmi les colonnes des billets de plus en plus semblables – sans doute du fait avéré qui veut que leurs auteurs reçoivent les mêmes royalties de ces marques dont ils font une constante publicité – .

De toute façon, il est notoire que ce genre de news fait fi en général de ces éventuels loups et louves solitaires à l'esprit indépendant car ceux-là ne leur feraient perdre que leur temps et leur argent. En tout état de cause, le libre-arbitre restera toujours la nemesis de tout vendeur parce que si ce qui est unique est cher, cela en effraie également beaucoup d'autres.

Dans ces parutions décevantes par nature il faut bien comprendre qu'on peut y lire assez peu de reportages originaux mais surtout des pubs déguisées. Donc, de la publi-information.

Pour lui, il était clair qu'on observait actuellement un retour en force du business racoleur tout comme à la naissance du capitalisme à l'ère industrielle. Par ailleurs, toutes ces analyses marketing qui prétendent intrinsèquement que le célibat et la pauvreté sont réservés à ceux qui en ont la vocation ne font que rabattre une seule et même chose ; à savoir que si vous êtes seul, c'est de votre faute. Par contre, ces petits roitelets bobos qui se sont horriblement fait largués par leur moitié à l'examen de fin d'année et qui vont donc passer les prochains congés en reclus accompagnés d'eux-mêmes (ou sinon avec quinze fac-similés un peu à la masse exactement comme eux) ont quant à eux bien besoin de coaching, et comme de juste.

À l'heure actuelle où n'importe quel lycéen de 16 ans a une copine et s'installe en couple comme un « jeune-vieux » modèle occidental, qu'il soit ensuite remplacé par un clone proche ou que nenni, peu importe, au fond, le résultat sera toujours identique. Aujourd'hui où les banques proposent des prix à ceux qui réussissent le baccalauréat avec mention, chacun ne sait que trop qu'après son enterrement de vie de jeune fille ou de garçon ; seul importe ce qu'il obtiendra ensuite comme retraite. Quoique vous prétendiez, il n'y a que le taux de votre futur compte-épargne qui compte et aussi comment votre patron vous considère. La première des rébellions étant, bien sûr et quoiqu'il arrive, d'agir en tous points comme vos semblables et de vous faire tatouer en revendiquant votre appartenance au peuple des insoumis.

 

Encore que pour ce jour, il n'y avait aucun de ces éditoriaux superbement égotistes qui le tentait : de « Technikart » à « Vogue Hommes » en passant par « Rolling Stone » et « GQ », les articles semblaient, en effet, plus que jamais parler de la même chose tout en recommandant les mêmes habitudes consuméristes. De toute manière, l'excellent futur vieux dispose déjà de sa propre mode formelle sans avoir besoin d'aide puisque la barbe et la pipe sont redevenues tendance tout comme ces comportements de rentiers dont on parlait déjà au XIXème siècle.

De même, s'il est désolant pour certains de constater que l'humain ne change pas au fil des siècles, la folie des rencontres variées dont on parlait à la libération sexuelle des sixties n'a même plus cours non plus, à cause de la crise économique et du sida, paraît-il. Donc, pourquoi s'instruire et chercher à aller à la rencontre de l'autre ?

Cela dit, s'il n'y a pas une chose au monde plus partagée que l'ignorance, il est au moins réconfortant de penser que les fourmis humaines du cosmos éviteront toujours tout voisinage super-arachnide tissant son repère : heureusement donc, Spiderman et les comics possèdent un lendemain.

Sur cette digression mentale, quittant les magazines, il s'avança un peu plus dans le fond de la librairie franchisée, histoire de voir ce que l'on proposait aux dangereux intellectuels qui osaient progresser aussi loin...

 

Le reste des produits que mettait en valeur ce stand était non pas de la coke mais ces livres très sollicités du segment thriller fantasy, où à l'intérieur, la quatrième de couverture proposait un récit devisant d'un cœur de cible qui rencontre un elfe plein de sagesse qui possède lui-même la clé de l'univers, sinon de ces chaleureux trolls qui sont concernés voire outrés par votre cas du moment que le tout amène au bout d'une énigme beaucoup de gloire à la clé.

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Sur le second étalage, à hauteur d'homme, était mis en vedette ce genre de biographie essentielle qui relate la vie d'un urbain milliardaire et sa révoltante condition de cadre dans la pub luttant au jour le jour contre des forces ténébreuses ; tout en gagnant très honorablement sa vie. Et rencontrant si possible au second chapitre une mère célibataire nécessiteuse dans un stage de développement personnel. Ou, bien sûr, par l'intermédiaire d'une expérience se déroulant dans une maison hantée par Belzébuth en personne. Peu importe l'excuse de toute façon du moment que c'est une célébrité.

Il faut bien que l'apprentie-secrétaire aimant l'eau de rose (ou plutôt, disons le jeune DRH pour éviter tout sexisme nauséabond) s'y retrouve dans son argent investi, que diable ! Il faut bien que les choix soient hétérogènes et variés et que ce porno soft à l'adresse du « Young Adult » ne déplaise pas à son public, s'il vous plaît !

 

Soudain, comme pour souligner ce précepte usé, un épouvantable grincement de rail résonna dans le hall ; suivi d'un sifflet de locomotive. Peut-être s'agissait-il de sa rame arrivant en gare et il accéléra donc sa visite de la librairie en accédant au petit passage du fond. Il était là dans la division vouée au thriller SF, et il y avait d'autres têtes de gondole qu'il n'avait pas vues en entrant. D'autres clients lisaient d'ailleurs debout ici, dont un habillé avec un gros anorak noir comme en novembre. Ce type lisait pieusement un page-turner à la couverture colorée en pastel intitulé »La Mer Sans Limites » et pendant ce temps son visage était affligé d'un énorme tic : toutes les deux minutes ses deux yeux clignaient de manière autoséquentielle.

Lui se choisit quelques-uns de ces autres nouveaux ouvrages, les feuilletant au hasard. Cette fois, ça changeait du tout au tout, car dedans la plupart de ces œuvres dont l'action de se déroulait aux États-Unis, on trouvait des personnages en situation apocalyptique vivant en bande qui affrontaient surtout des zombies. Peut-être pas étonnant, le rapport.

Pareillement, toutes ces fictions proposaient au lecteur sensiblement les mêmes récits palpitants de fin du monde, sauf qu'elles les narraient sous diverses variantes dont, au choix ; une veuve à sauver du feu pendant que la planète agonisait à cause d'un terrible virus, un grave problème international faisant intervenir des protagonistes savants à la renommée mondiale qui réclament votre assistance, ou alors de ces scientifiques géniaux qui font intervenir une égale d'Einstein amoureuse de vous au moment où les morts-vivants vous cernent, ou encore – cas très fréquent - de ces services secrets très secrets du FBI qui ont désespérément un besoin urgent de votre personne tandis que la Terre est envahie par des aliens qui ne rigolent pas comme ces « MIB ».

Le hic ultime étant que dans la vraie vie, les gens sont beaucoup moins originaux et les situations infiniment plus courantes sinon d'une couleur moins éclatante. En fin de compte, se dit-il, on pense souvent qu'au XXIème siècle, à notre ère surinformée, les gens ont plus que jamais besoin de choses véridiques mais bien au contraire, il semble que la véracité n'ait jamais été aussi peu présente dans les œuvres actuelles malgré leur multiplication.

D'autre part, à moins d'être dans le brûlot ou la littérature interdite vendue sous le manteau, il faut se rappeler que la censure varie selon l'époque mais ne laisse que rarement tout passer. Ne jamais oublier ces auteurs mythiques qui ont pourtant eu un mal fou à être publiés à leur époque. De fait, en général, le réel émerge de manière trop crue pour le scribe officiel, celui-ci changera ce qui est vraiment arrivé en une love story unanime, laquelle étant de tout temps mariée à un certain mensonge stagnant entre les pages, comme le disait autrefois l'ami Marx.

Car dans la vie réelle il n'y a pas non plus de Lord Voldemort soudain suspect ou de justicier masqué caché dans la bibliothèque, tout est bien plus curieux et alambiqué.

Dans la vie courante ce que l'on croit complexe est limpide, et à l'inverse, ce que l'on croit simplissime est sophistiqué et c'était juste la raison fondamentale, à son humble avis, pour laquelle la grande littérature ne se démodait pas. Les grands classiques sont certes parfois un peu poussiéreux mais ils ne rabaissent pas pour autant le niveau par le bas en prenant le lecteur pour une moitié de demeuré.

Il faut bien admettre qu'au lieu des zombies, c'est plutôt le marchandisage de masse qui a envahi les rayons et que la culture en est évidemment victime, donc les cerveaux ! Et du fait que les éditeurs ne fabriquent désormais que des produits formatés en faisant correspondre à chaque niche une histoire pas difficile à comprendre, on favorisera ainsi plutôt les petites patries au lieu des grandes idées. Si vous souhaitez donc un mode de vie mercantile et uniformisé voire trash, pas de problème pour vous. Par contre, aspirer à l'inverse risque d'être un souci épineux à accomplir, cela expliquant sans doute pourquoi les projets développés ressemblent très souvent à un artéfact d'un standard culte déjà connu. Parce que du moment que le marché est alimenté, roule ma poule !

 

La plupart du temps le recyclage provient in extenso du cinéma - puissant média d'entre tous les médias - on essaye d'exploiter le citron au maximum en recyclant les succès du passé quitte à les écouler light et sans alcool de préférence. Telle cette nouvelle série TV qu'il avait visionné il y a peu sur une chaîne du câble ; un truc intitulé »Bates Motel ».

Tiré du fameux thriller « Psychose », ce feuilleton était censé se passer avant les meurtres de Norman Bates en décrivant sa vie antérieure. Le plus célèbre des serial-killers était là une sorte d'ado quelque peu perturbé mais pas du tout suspect d'atrocités et dont le seul crime était d'être dominé par une mère abusive. Ce serial interminable consistait donc à être principalement une fadaise sentimentale voire une sorte de mixture, et dont on avait ôté l'atout majeur.

Tous ces trucs qui exploitent la vague nostalgique et qui sentent à plein nez le procédé « comment faire du neuf avec du vieux », on les fait désormais passer pour des objets élitistes alors qu'il y a peu les œuvres dont ils sont issus n'étaient que très peu considérés et classés en série B. Puisque s'agissant du meilleur on dénommait cela au temps ancien, à la limite, avec le mot anglais « pulp », sinon tout simplement de la littérature d'action, dite « de gare. »

En ce qui concerne les films, c'est exactement la même chose car dans ceux-là vieux de plus de vingt ans, on observe souvent que leur avantage premier est qu'ils sont départis de ces épouvantables effets digitaux réalisés à la palette graphique et aussi de ce genre d'intrigues nigaudes préalablement conçues avec un logiciel. Cela expliquant sans doute le fait que quelque part, il y a toujours de la magie dans ces albums Panini « Star Wars » que l'on retrouve un beau matin dans notre vieille malle de jeux…

Quant aux bouquins, pour sa part il appréciait essentiellement les anciens polars hard-boiled de la série noire, qui sont il faut bien dire départis de cette préciosité frileuse et de ces bons sentiments qu'on trouve aujourd'hui un peu partout. Les livres policiers de facture supérieure sont toujours les plus bruts de décoffrage.

Dans son sac en cuir beige, il y avait donc à l'intérieur notamment le rude polar "Meurtres au 3ème degré" d'un auteur policier plutôt obscur, plus un classique de la littérature avec également quelques films et un lecteur de DVD's. Et puis c'était tout, avec aussi l'acier froid de son Colt .45 automatique M1911, dit Colt "Government".

Au cas où.

Si on est seul et indompté il faut aussi prévoir le temps long qu'on aura éventuellement à passer.

 

Enfin, tenant à s'appliquer pour être à l'heure de l'embarquement de son train, il laissa la librairie et ses couvertures chamarrées avec aussi l'anorak noir qui clignotait toujours comme un programme de pixels puis il se dirigea vers un des multiples écrans qui annonçaient les départs. Justement, à côté de lui, se tenait un petit blond à la tête de perdreau de l'année vêtu d'un débardeur qui laissait voir les tatouages entrelacés de son dos. Sûrement encore un de ces durs indociles.

Mais son TGV pour le Sud-Ouest était maintenant à moins d'une demi-heure d'attente et l'on pouvait d'ores et déjà apercevoir sur les plateformes d'en-bas la foule des familles nombreuses (avec ces mères nerveuses tenant leur progéniture en laisse et leurs maris à l'air plus accort suivant derrière, chaussés le plus souvent de New Balance et portant des polos Lacoste) s'acheminer vers leurs wagons. On pouvait voir aussi sur le quai quelques scouts en chemise rouge dont certains portaient des jeans tendance à la coupe skinny, avec évidemment, quantité de ces insectes actifs et pithiatiques que l'on croise dans toute gare. Lui disposait encore de quelque temps à perdre et, malgré tout, l'idée de devoir bientôt affronter cette bousculade le déprima quelque peu.

Là le rejoint l'idée persistante qu'il aurait pu prendre l'avion même si le prix du billet était plus cher, mais d'une part, c'était oublier les chiens renifleurs, et de l'autre, le fait que les trajets séparant l'aéroport de la ville sont souvent longs. Tandis qu'en empruntant la voie ferrée, on tombe le plus souvent en plein centre-ville. Faisant demi-tour, il se redirigea donc à nouveau vers le salon de lecture.

Examinant un instant les juillettistes connaisseurs avec aussi les semi-clodos juste pour vérifier s'il pouvait s'asseoir sans cocoter ensuite la vinasse, il s'annexa finalement un fauteuil en se choisissant un quotidien parmi ceux qui étaient présentés sur les barres en bois. Ils étaient tous là exactement comme au Ritz, ou à peu de choses près. Une copie du jour de "Le Monde" et "Libération" suffirait bien à combler une vingtaine de minutes.

Ici on pouvait être tranquille.

A Paris, chacun se fout de son voisin de palier anonyme, il n'y a aucune chance que qui que ce soit repère l'original coupable - à part peut-être un SDF bourré à la limite (il faut parfois se méfier des indigents) – et la foule de la capitale, qu'elle soit bigarrée, névrosée, multiple, sinon juste paranoïaque, ne fouille jamais là où il faut. Que cela soit à la vitesse d'un brutal pas de l'oie sinon de celle de l'obturateur de ce reflex qui reposait également au fond de sa valise.

Il n'y a qu'au crépuscule que les gens de la ville commencent à perdre les écailles qu'ils ont aux yeux, quand ils sortent en masse des bouches de métro et des parkings blindés de peuple tout en scannant de leurs orbites vides l'éventuel et impudent adversaire. Le jour, ils suivent tous le troupeau autant qu’ils le peuvent. La nuit, par contre, qu'ils aillent faire des courses en nocturne dans les magasins des grands boulevards ou qu'ils aillent se taper le dernier blockbuster dans leur multiplexe de banlieue, les gens attendent toujours du neuf voire du sensationnel.

Il y a ceux-là qui patientent pour rentrer dans une boîte branchée le samedi soir sinon dans la longue, très longue queue, d'un restaurant tellement fôôôrmidable des Champs-Élysées, et il y a aussi ces autres qui attendent devant la file d'attente d'un établissement fréquenté par d'imposants jet-setters. Et comme il se l'était dit un peu plus tôt, tous ces gens ne retrouvent là-bas que leurs connaissances et coteries diverses. Paris est un tout petit monde qui ne se mélange que très rarement.

 

Le concernant, personne ne le soupçonnerait jamais en ces lieux.

 

 

[à suivre...]

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